Sur cette question, le projet de loi initial prévoyait un départ à la retraite à 60 ans pour les salariés justifiant d'un taux d'incapacité de 20%, suite à une maladie professionnelle ou à un accident du travail. Devant le tollé provoqué par sa première annonce et l'importance des manifestations du 7 septembre dernier, le ministre du Travail, Eric Woerth, a présenté dès l'ouverture du débat parlementaire un amendement qui ramène à 10% le taux d'incapacité médicalement constaté permettant de bénéficier d'une retraite anticipée. Mais pour faire valoir leurs droits, les salariés concernés, déjà handicapés, devront encore passer devant une commission pluridisciplinaire, dont la composition doit être fixée par décret.
Moins de 5% des salariés concernés par la retraite anticipée
D'après le gouvernement, ce dispositif élargi devrait concerner 30 000 salariés par an, soit trois fois plus qu'avec le taux de 20% précédemment arrêté. En 2009, plus de 730 000 travailleurs sont partis à la retraite. Moins de 5% des salariés seraient donc concernés par la mesure de départ anticipé. La CFDT a estimé que l'élargissement du nombre de bénéficiaires potentiels pouvait constituer un premier pas. Mais, comme les autres organisations syndicales, la centrale refuse que la pénibilité soit réduite à un constat d'incapacité. "20% ou 10%, cela ne change rien. Le gouvernement reste sur un dispositif invalidité, et non sur un dispositif de prise en compte de la pénibilité", s'insurge de son côté Eric Aubin, de la CGT. Pour Eric Beynel, de Solidaires, le projet actuel n'est même pas amendable. "Les salariés qui partent en retraite doivent pouvoir le faire en bonne santé", soutient-il. Du côté de FO, on juge que la pénibilité ne doit pas être abordée dans une réforme des retraites. "Les départs anticipés à la retraite ne sont qu'un élément de la prise en compte de la pénibilité, il faut aussi améliorer les conditions de travail",ajoute Bernard Devy. Relayant les analyses de l'ensemble des organisations syndicales et d'associations de victimes telles que la Fnath-Association des accidentés de la vie et l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), les députés de l'opposition ont réclamé en vain un départ anticipé pour les salariés exposés aux facteurs de pénibilité, qu'il y ait ou non des effets constatés sur la santé. De fait, le dispositif du gouvernement exclut les milliers de salariés exposés à des conditions de travail réduisant leur espérance de vie sans pour autant entraîner d'incapacité. Comme l'ont rappelé les députés de gauche, de nombreuses études de spécialistes en santé au travail ont montré que des facteurs de pénibilité - travail en horaires alternants ou de nuit (1), port de charges, postures pénibles, exposition à des agents toxiques, etc. - peuvent avoir pour effet un vieillissement prématuré, voire un décès prématuré par cancer ou maladie cardiovasculaire, souvent après le départ en retraite.
La réduction de l'espérance de vie en bonne santé est mesurable
Cette pénibilité au travail diminue l'espérance de vie en bonne santé, ce qui est mesurable. Par ailleurs, l'enquête épidémiologique Sumer (pour "Surveillance médicale des risques") a mis en évidence que plus de 2,3 millions de salariés, dont 70% d'ouvriers, sont exposés à un produit cancérogène. Le travail de nuit concerne 19% des salariés, la manutention manuelle de charges près de 43%. Plus de 20% des salariés sont exposés à des postures pénibles. En dépit de ces travaux de recherche, menés notamment par les services du ministère du Travail, Eric Woerth a campé sur ses positions, en prétextant de la nécessité d'une mesure de la pénibilité médicalement constatée, selon lui objective. Inspiré de l'accord Rhodia (voir article page 18), un amendement déposé par deux députés UMP - Denis Jacquat, rapporteur du projet de loi, et Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales - ouvrait la possibilité aux branches professionnelles de négocier des accords de retraite anticipée pour pénibilité du travail. Les députés de la majorité voulaient en ce sens permettre une prise en compte de la pénibilité différée. Cet amendement, accueilli avec réserve par les organisations syndicales au regard des réticences patronales de certaines branches, a cependant été rectifié par le gouvernement. Considérant que la possibilité de négocier de telles retraites anticipées reviendrait à recréer un système de préretraite, le ministre du Travail a déposé un sous-amendement. En définitive, ces accords de branche sur la pénibilité devront porter uniquement sur un dispositif d'allégement ou de compensation de la charge de travail pour les salariés exposés à des travaux pénibles: passage à temps partiel assorti d'une indemnité complémentaire, mission de tutorat, journées supplémentaires de repos ou de congé… Même si le gouvernement a assuré qu'il ne toucherait pas au dispositif amiante, lequel permet un départ anticipé à la retraite en fonction des années d'exposition à la fibre cancérogène, il ferme de fait la porte à toute avancée similaire. Pour Eric Aubin, ce sous-amendement du gouvernement est d'autant plus dangereux qu'il rend caducs les quelques accords de retraite anticipée pour pénibilité qui ont pu être signés par certaines entreprises. La Fnath et l'Andeva se sont, pour leur part, émues de la création d'un fonds public destiné à aider les entreprises qui auraient mis en place des dispositifs d'allégement de la charge de travail. La dernière mouture du texte adopté par les députés avant sa discussion au Sénat début octobre précise que les recettes de ce fonds de soutien relatif à la pénibilité proviendront en partie de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécurité sociale, mais aussi de l'Etat. "Alors que ce sont les employeurs qui créent l'usure au travail, ce ne sont donc pas eux qui vont en financer les conséquences", dénoncent les deux associations. Pour inciter les entreprises à adopter des mesures de prévention de la pénibilité, des députés de l'opposition ont proposé de majorer les cotisations à la branche AT-MP pour les employeurs exposant durablement leurs salariés à des conditions de travail pénibles. Les dispositions adoptées par l'Assemblée sont beaucoup moins incitatives. Il est simplement prévu une pénalité de 1% pour les entreprises de plus de 50 salariés qui n'auraient pas signé un accord ou adopté un plan de prévention de la pénibilité. En revanche, les députés ont adopté un texte qui prévoit un carnet de santé au travail, afin de garder une trace des travaux pénibles effectués tout au long du parcours professionnel. Ce carnet, constitué par le médecin du travail, comporterait des informations sur l'état de santé du salarié et retracerait ses expositions professionnelles. Pour le compléter, l'employeur devrait, de son côté, consigner dans une fiche les facteurs de risques professionnels: contraintes physiques marquées, environnement physique agressif, rythmes de travail susceptibles d'altérer la santé. Sans remettre en cause la nécessité d'une traçabilité des expositions professionnelles, les députés de gauche se sont interrogés sur le sens de ce suivi, dans la mesure où les salariés devront être en incapacité pour faire valoir leur droit à une retraite à 60 ans. Dans un contexte où l'indépendance des médecins du travail est sérieusement menacée (2), les organisations syndicales craignent, quant à elles, les effets pervers d'un carnet de santé qui risquerait de stigmatiser les salariés.