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Faire progresser les droits et les moyens des salaries, un besoin d'idées nouvelles

 

 

 

 

Dans un an, des échéances électorales décisives vont convier les citoyens à faire des choix pour des personnes et des programmes. La situation économique générale (chômage élevé, finances dégradées, dette publique importante) nécessite des changements rapides et profonds. Des économistes proposent une révolution fiscale.

 

Des candidats proposent des changements économiques, dans le soutien à la production, dans les droits des salaries

 

La gravité de la situation générale exige une participation massive des salaries, des choix bénéfiques pour les classes moyennes et populaires

 

Voici l'interview donnée par Thomas Piketty à propos de la "révolution fiscale" : 

 

"Comment est née l’idée de vendre une réforme de la fiscalité française clés en main aux politiques?

 

C’est d’abord le parcours politique d’un chercheur et d’un citoyen déprimé par l’incapacité de la gauche française depuis dix ans à se doter d’une base programmatique solide lui permettant de gagner des élections. Un citoyen également déprimé par l’injustice fiscale qui caractérise ce gouvernement. Or ce sujet me semble être une grandes questions que pose le sarkozysme. Car si notre système fiscal n’a jamais été juste, la majorité élue en 2007 l’a aggravé en rajoutant des couches de privilèges pour les plus riches. Notre livre vise à forcer les politiques à s’emparer du sujet et à dire ce qu’ils feront s’ils sont élus. Il est clair que nous nous situons dans la perspective de 2012.

 

Pourquoi ce site Internet de simulation des réformes fiscales?

 

L’idée est de tout mettre sur la table et de permettre à chaque citoyen de se faire une idée. Et de faire vivre le débat. Même les parlementaires n’ont pas accès à des données leur permettant d’expertiser certains de leurs dispositifs fiscaux. Ils doivent en référer aux services de Bercy, qui la plupart du temps enterrent leurs demandes. Ce site est, à ma connaissance, une première mondiale. Il est inséparable du livre, mais il aura une durée de vie bien plus importante.

 

Votre diagnostic sur l’évolution de notre système fiscal est accablant.

 

Il est tellement illisible, tellement peu transparent, et suscite tellement la défiance des Français qu’à terme cela pourrait déboucher sur des révoltes fiscales. Son degré de complexité est incompatible avec le fonctionnement d’un Etat démocratique moderne. Cette opacité du système, des millions de personnes la subissent. Prenez un salarié rémunéré au smic : c’est pour lui un parcours du combattant de connaître son pouvoir d’achat de l’année. On commence par lui prélever un mois de salaire au titre de la CSG (Contribution sociale généralisée), un an plus tard on lui reverse un demi-mois de salaire au titre de la PPE (Prime pour l’emploi) ou du RSA (Revenu de solidarité active). Sans crier au complot, on peut y voir une volonté idéologique de faire passer les classes populaires et les travailleurs à bas salaires pour des assistés, ce qu’ils ne sont absolument pas!

 

Vous ne grossissez pas le trait?

 

Notre livre le démontre sans ambiguïté : en France les plus riches se retrouvent au final avec des taux d’imposition bien plus faibles que ceux des gens modestes. Ces derniers sont soumis à un taux d’imposition moyen de l’ordre de 45% alors qu’au sommet de la pyramide, les 1% les plus riches sont taxés à moins de 35%. C’est la première fois que des économistes font apparaître aussi clairement cette régressivité de l’impôt des plus riches. Cela m’a étonné moi-même. Je précise que nous avons pris des hypothèses très prudentes et que la vérité est sans doute bien pire. On a pu s’en faire une idée cet été lors de l’affaire Bettencourt.

 

On peut vous répondre qu’il s’agit d’une minorité de très fortunés.

 

Cette inégalité des Français devant l’impôt va au-delà de quelques centaines de privilégiés. Les 5% des Français les plus riches, ça fait 2,5 millions de personnes, et les 1% des revenus les plus élevés pour lesquels le phénomène de régressivité s’amplifie fortement représentetnt 500 000 personnes. On ne parle plus de 200 familles. J’entends des gens dire «1% ou 2% de la population, c’est marginal». Je leur rappellerai que l’aristocratie en 1789, c’était, d’après les historiens, entre 1 et 2% de la population et déjà à l’époque on cherchait à relativiser leur importance. Comment voulez-vous demander des sacrifices dans un pays où les plus aisés bénéficient de tels avantages?

 

Pourquoi écrivez-vous que notre impôt sur le revenu est à l’agonie?

 

Il est tellement mité, troué de toutes parts, qu’il n’est plus réformable. Devant une telle accumulation de complexités et d’exonérations, il faut le supprimer purement et simplement. Depuis trente ans, tous les gouvernements l’ont réduit (la dernière hausse date de 1981) et son produit a été divisé par deux en vingt ans en proportion de l’évolution de la richesse nationale. Si le législateur voulait aujourd’hui augmenter les taux supérieurs avec le barème actuel, comme le suggèrent certains, cela ne servirait pratiquement à rien. Les contribuables les plus fortunés se débrouilleraient pour échapper légalement à ces nouveaux taux d’imposition, comme ils le font déjà aujourd’hui.

 

En quoi le prélèvement à la source est-il un élément central de votre réforme?

 

Déjà, cela permet de simplifier la vie des gens. Par ailleurs, l’absence de prélèvement à la source fournit une bonne partie de l’explication de la mort de l’impôt sur le revenu. Elle a encouragé la prolifération de niches fiscales et de réductions de toutes sortes. Le prélèvement à la source a le mérite de la stabilité, il oblige à de la discipline et modère les velléités du législateur avec un principe très simple : à revenu égal, impôt égal.

 

Avec la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, vous assurez que l’on peut faire baisser les impôts de 97% des Français, en augmentant fortement celui des plus riches. Et les risques d’évasion fiscale?

 

Vous partez de l’hypothèse selon laquelle la situation serait ailleurs encore plus favorable aux riches. Nous pensons au contraire que leur situation en France est plutôt enviable. Notre pays affiche certes des taux faciaux d’imposition souvent élevés, que ce soit pour les entreprises ou les particuliers, mais on a une telle accumulation de niches fiscales que les taux effectifs sont relativement faibles. Une étude récente du Crédit Suisse révéle que notre territoire est le leader européen en nombre de résidents millionnaires. Au final, je pense que les contribuables aisés préféreront la simplicité et la transparence de notre système à l’éternel et usant jeu du chat et de la souris avec le fisc.

 

Vous choisissez aussi de supprimer tous les dispositifs qui ont engendré la multiplication de niches fiscales. C’est politiquement suicidaire…

 

Aujourd’hui, chacun suspecte son voisin de mieux utiliser les niches fiscales que lui, de moins payer d’impôts et ça finit par ruiner le consentement à l’impôt. C’est le statu quo qui est suicidaire! Notre réforme propose en quelque sorte d’inverser la charge de la preuve. Nous pensons qu’avec une réforme qui va baisser l’imposition directe de 97% des Français, et donc leur redonner du pouvoir d’achat, cela justifie d’être très ferme sur l’arrêt total des centaines de dispositifs «d’évasion fiscale légale» qui ont tué l’impôt sur le revenu. Si au terme de cette période les défenseurs de telle ou telle niche sont capables d’apporter la preuve, par des évaluations rigoureuses, que le rapport coût/bénéfice de leur dispositif est satisfaisant pour la société - ce qu’ils n’ont pas été aptes à prouver jusqu’à aujourd’hui - alors on pourra envisager de les réintroduire. Mais il faudra alors compenser le manque à gagner par une hausse du barème.

 

Le gouvernement veut réformer l’ISF (impôt sur la fortune) au motif qu’il vaut mieux taxer les revenus du patrimoine que sa possession. Qu’en pensez-vous?

 

D’abord, on vit dans une période où les patrimoines se portent extrêmement bien. Sur les vingt ou trente dernières années, les revenus du travail ont stagné, augmentant au maximum de 1 à 2% par an, tandis que ceux du patrimoine ont explosé. Aujourd’hui, la valorisation globale des patrimoines a retrouvé son niveau historique de la Belle Epoque. Le problème de la droite, c’est qu’elle semble sincèrement convaincue que les gens riches paient trop d’impôts. Alors que ce n’est absolument pas le problème de la France : ce sont les classes populaires et moyennes qui en paient trop. Si on supprime l’ISF, je pense que ce sera regardé très négativement par l’histoire. Car c’est un de nos seuls impôts moderne et véritablement progressif. En réalité, cette pseudo réforme fiscale du patrimoine n’est qu’un alibi pour tenter de réparer cette colossale erreur qu’a été le bouclier fiscal.

 
Dans son projet, le PS propose lui aussi la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Pourquoi alors être si sévère vis-à-vis de la gauche?

 

La gauche fait semblant d’avoir un programme en matière fiscale alors que je pense qu’elle n’en a pas réellement pour l’instant. Dire que l’on va faire un grand impôt progressif, comme la gauche le dit depuis un siècle, ce n’est pas un programme. Quand vous en restez à ce stade de généralités, ce n’est rien. Ce qui m’inquiète à gauche, c’est le consensus mou autour de ces questions. Plusieurs points clés n’ont pas été tranchés. Notamment la question de l’individualisation. Aujourd’hui, l’impôt sur le revenu est calculé au niveau du couple et la CSG au niveau de l’individu. On défend l’idée que c’est la CSG qui absorbe l’impôt sur le revenu et que donc c’est l’ensemble qui devient individuel. On a le droit d’être contre, c’est un choix de société, compliqué, mais c’est une des questions que le parti socialiste devra trancher s’il veut être crédible."

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